Ménopause et risque cardiovasculaire : mythe et réalité Articles médicaux août 09 2011 En termes de mortalité, quel que soit le sexe et malgré les progrès réalisés, les maladies cardiovasculaires viennent toujours au premier plan. Pourtant, les maladies cardiovasculaires sont perçues par 19% des femmes comme la première cause de décès alors qu’elles sont 40% à estimer que le cancer du sein vient en premier plan. En réalité, le cancer du sein représente un risque létal de 4% et les atteintes cardiovasculaires de 45%. Cette différence entre perception et réalité induit dès lors des comportements dangereux pour la santé. On sait que la ménopause majore le risque cardiovasculaire et, dans ce contexte, les traitements hormonaux substitutifs (THS) apparaissent comme avantageux. Or, lors de la publication de différentes études concernant les traitements hormonaux substitutifs (THS), tant le risque cardiovasculaire que le cancer du sein ont été mis en avant. Or, comme on l’a dit, le premier est bien supérieur au second. Un risque bien présent… Si l’on reprend en détail les différentes études, on remarque que le risque encouru de maladie thrombo-embolique est pratiquement doublé à chaque fois sauf en ce qui concerne le bras oestrogène seul de l’étude WHI, où le risque est de 1,33. On atteint le même risque en ce qui concerne le traitement par SERM. « N’oublions pas non plus que ces femmes peuvent présenter des facteurs de risque supplémentaires qui viennent augmenter le risque d’accidents thrombo-emboliques veineux », insiste le Pr. Ulysse Gaspard. Ainsi, pour un même traitement donné à une femme de 79 ans par rapport au placebo donné à une femme entre 50 et 59 ans, le risque est multiplié par 7,5. Pour une femme obèse par rapport à une femme avec un BMI normal, l’augmentation est de 5,6, comme l’ont montré Cushman et ses collaborateurs (1). Ce risque semble majeur la première année de traitement (4 fois plus) et va décroissant par la suite. Ceci n’est donc pas sans implication sur le plan clinique. Parmi les causes majeures d’accidents thrombo-emboliques veineux (VTE), il faut distinguer les origines héréditaires des origines acquises. Parmi les facteurs héréditaires, on a remarqué que les œstrogènes sont capables d’augmenter la résistance à la protéine C activée et vont donc réduire l’effet naturel anticoagulant. « Et c’est là qu’intervient une des mutations les plus fréquentes, celle du Facteur V de Leiden qui touche tout de même 4% des femmes sous nos latitudes. » A côté de ces formes innées, il y a aussi les formes acquises comme la présence d’un cancer, la grossesse et les œstrogènes oraux. « Par ailleurs, ils augmentent aussi la génération de thrombine, ce qui explique de manière élégante les effets de ces œstrogènes oraux sur la maladie thrombo-embolique », précise Ulysse Gaspard. Or, il s’avère qu’avec les œstrogènes transdermiques, on ne trouve pas cette activité de facteurs procoagulants grâce à l’absence de l’effet du premier passage hépatique. Les études menées sur un des marqueurs les plus fins de la coagulation, les fragments de prothrombine 1+2, montrent qu’en l’absence de THS, le niveau basal ne varie pas, mais qu’il augmente très fortement en cas de traitement oestroprogestatif oral. La vérité selon Esther En revanche, en cas de traitement par voie transdermique, le taux est identique à celui des femmes non traitées. L’étude ESTHER (2), une étude cas-témoins, a clairement montré que le risque de thrombose veineuse était équivalent entre les non-utilisatrices de THS et celles sous oestroprogestatifs transdermiques alors que ce risque pour les patientes sous traitement oral était multiplié par 3,5. Ce facteur multiplicatif se retrouve comme dans les autres études selon qu’il s’agisse de femmes obèses, avec des facteurs génétiques prothrombotiques, etc. Ces données ont été confirmées dans une étude récente basée sur plus de 23.000 patientes ayant subi un accident thrombo-embolique veineux comparées à dix fois plus de patientes issues de la base de données anglaise General Practice Research Database (UK-GPRD) (3). Cette même base de données a permis aussi de déterminer le risque d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) chez les patientes sous hormonothérapie. Les AVC se grèvent non seulement d’une mortalité importante (20%), mais aussi provoque aussi un handicap dans 50% des cas. Une méta-analyse reprenant les données de 28 études randomisées et contrôlées regroupant près de 40.000 femmes post-ménopausées a montré une augmentation du risque d’AVC de 1,29. Il s’agissait essentiellement d’accidents ischémiques et pas hémorragiques. Le risque d’AIT n’est pas augmenté non plus. (4) Et à partir des mêmes données de UK-GPRD, C. Renoux et ses collègues (5) ont montré l’année dernière que même la dose administrée par voie transdermique est importante puisque si elle est inférieure à 50 µg, le risque d’AVC hémorragiques ou ischémiques diminue. En revanche, si les œstrogènes transdermiques donnés à haute dose (>50µg d’œstradiol) par voie transdermique, ce risque augmente au moins autant qu’avec les THS oraux. « C’est donc la première fois au monde qu’une étude prouve que l’œstradiol <50µg réduit le risque d’AVC », conclut le Professeur Ulysse Gaspard. Au cœur des artères Du côté des maladies coronariennes, plusieurs études soutiennent une réduction du risque pour les patientes sous oestroprogestatifs ou sous oestrogènes seuls. Ainsi, l’étude Nurse Health Study (NHS, 6) montre une baisse de près de 40% chez les patientes traitées. La durée est par ailleurs un élément essentiel comme l’a montré des sous-analyses de WHI. En effet, la protection conférée par les oestroprogestatifs disparaît après 10-20 années de traitement et le risque augmente très nettement après 20 ans de THS. Si l’on considère les oestrogènes seuls, le danger n’augmente que pour les femmes âgées entre 70 et 79 ans par rapport aux non traitées du même âge, mais de manière relativement modérée. Pour Ulysse Gaspard, ceci suggère qu’il existe probablement une fenêtre thérapeutique qu’il faut exploiter entre 50 et 59 ans. S. Salpeter montre d’ailleurs en 2006 à partir d’une méta-analyse de 23 études randomisées regroupant 39000 femmes, soit 191.340 années-femmes, que le risque de maladie coronarienne est toujours abaissé grâce au THS chez les femmes en dessous de 60 ans (ou traitées moins de 10 ans après le début de la ménopause). Cependant, il est toujours augmenté pour les plus âgées au cours de la première année de traitement. Ceci corrobore ce qui avait été retrouvé pour le thrombo-embolisme veineux. Ce constat peut sembler surprenant, mais il faut rechercher le primum movens de la maladie coronarienne : la plaque athéromateuse. Grâce une intervention précoce, il est possible d’inverser le processus de constitution de ces plaques. Une intervention plus tardive, en revanche, risque de favoriser sa mobilisation et la formation d’emboles. Ceci a été proposé comme base théorique pour une THS rapide après l’apparition de la ménopause et a été confirmé de manière indirecte par Naessen et ses collègues. (8) Dans cette étude, ils ont mesuré l’épaisseur de l’intima des artères carotides et fémorales par échographie chez des patientes sous THS depuis 20 ans. Ils ont constaté que l’intima était moins épaisse de 25% chez les patientes sous THS par rapport aux autres et la media 75% plus épaisse. Ceci leur conférait un rapport intima/media de -54% par rapport aux non-utilisatrices, ce qui est particulièrement favorable pour réduire le risque cardiovasculaire. Un autre facteur prédictif très important d’événements cardiovasculaires délétères est la calcification des plaques. Manson et ses collègues (9) ont mené une étude sur l’intérêt de l’oestrogénothérapie seule dans une sous-analyse de l’étude WHI chez des patientes entre 50 et 59 ans. Le taux de calcification était moindre (score de calcification [SC]:83) chez les patientes traitées par 0,625 mg/j d’oestrogènes comparativement au groupe non traité (SC : 123). Cela correspond à risque coronarien réduit de 36 à 54% selon le score de calcification obtenu et pour des patientes ayant atteint une compliance de 80%. Tôt, c’est mieux… Les THS sont donc bien protecteurs pour le risque cardiovasculaire du moment qu’ils sont donnés aux bonnes doses au bon moment. Parmi eux, la voie transdermique semble bien être celle à préférer. Par rapport au thrombo-embolisme veineux, le Professeur Ulysse Gaspard a bien montré que l’oestrogénothérapie grâce au patch n’augmente pas le risque par rapport aux patientes non traitées, alors que la thérapie orale double ce risque. Pour les AVC hémorragiques ou ischémiques, il n’y a pas non plus d’augmentation alors que les AVC sont élevés de 1,5 fois avec le traitement oral. Par rapport à la maladie coronarienne, la THS diminue clairement le risque de 30% si elle est administrée entre 50 et 59 ans. Au vu de ces données, on voit donc qu’on est loin du risque décrit par les études initiales reprenant WHI. Cependant, elles ont permis de mieux prendre conscience du risque cardiovasculaire chez la femme ménopausée et de l’intérêt de prescrire un traitement hormonal substitutif à bon escient : pas pour toutes les patientes et pas à vie, mais en fonction des plaintes et donc probablement pour une période limitée à évaluer individuellement. [Rédaction Tempo Médical] Références : Cushman M, Kuller LH, Prentice R, Rodabough RJ, Psaty BM, Stafford RS, Sidney S, Rosendaal FR; Women's Health Initiative Investigators. Estrogen plus progestin and risk of venous thrombosis.JAMA. 2004 Oct 6;292(13):1573-80. Scarabin PY, Oger E, Plu-Bureau GDifferential association of oral and transdermal oestrogen-replacement therapy with venous thromboembolism risk. EStrogen and THromboEmbolism Risk (ESTHER) Study Group. Lancet. 2003 Aug 9;362(9382):428-32. Renoux C, Dell'Aniello S, Suissa S. Hormone replacement therapy and the risk of venous thromboembolism: a population-based study.J Thromb Haemost. 2010 May;8(5):979-86. Bath PM, Gray LJ. Association between hormone replacement therapy and subsequent stroke: a meta-analysis. BMJ. 2005 Feb 12;330(7487):342. Renoux C, Dell'Aniello S, Suissa S. Transdermal and oral hormone replacement therapy and the risk of stroke: a nested case-control study.BMJ. 2010 Jun 3;340 Grodstein F, Manson JE, Colditz GA, Willett WC, Speizer FE, Stampfer MJ. A prospective, observational study of postmenopausal hormone therapy and primary prevention of cardiovascular disease.Ann Intern Med. 2000 Dec 19;133(12):933-41. Salpeter S. Mortality associated with hormone replacement therapy in younger and older women.J Gen Intern Med. 2006 Apr;21(4):401. Naessen T, Rodriguez-Macias K.Menopausal estrogen therapy counteracts normal aging effects on intima thickness, media thickness and intima/media ratio in carotid and femoral arteries. An investigation using noninvasive high-frequency ultrasound.Atherosclerosis. 2006 Dec;189(2):387-92 Manson JE, Allison MA, Rossouw JE, et al.Estrogen therapy and coronary-artery calcification.N Engl J Med. 2007 Jun 21;356(25):2591-602.